Le Calame – Birame Dah Abeid, président de l’Initiative de Résurgence du Mouvement abolitionniste, député:« Pour l’opposition, soutenir un candidat issu d’un pouvoir que nous avons combattu longtemps relèverait d’un défaut de discernement et d’une panne d’ambition ».
Le Calame – Vous êtes certainement l’homme politique et le militant des droits de l’homme le plus arrêté de cette dernière décennie. Combien de fois avez-vous été arrêté et pourquoi ?
Birame Dah Abeid : En effet, je suis à ma quatrième arrestation en l’espace de quelques années. C’est un nombre record d’inculpations, pour les dix ans d’existence du mouvement que je préside. Ces privations ponctuelles de liberté et les intimidations consécutives résultent de paramètres divers ; j’en citerai le principal : le pouvoir n’a pas pu contenir au seuil de pensée et d’action tolérable par lui, ni le discours ni l’action d’IRA.
De facto, il se retrouve dans la contrainte de devoir nous persécuter pour continuer à se ménager, au nom de la survivance du système de domination, un espace d’immunité exclusive. Pour ainsi dire, la nature inégalitaire du statu quo prédispose les forces de la conservation, à nous imposer la censure et la coercition. Cependant, les temps changent.
La pression médiatique et sa globalisation dictent désormais, à toute entreprise de restriction des libertés, l’impératif d’un habillage moral. Alors, il fallait opposer aux demandes d’égalité citoyenne et au credo de non-violence, le mythe du complot extérieur auquel une partie de la population accorde encore quelque crédit. De précurseurs d’une cause juste, nous voici dépeints en apprentis pyromanes.
En 2014, vous vous êtes présenté à la présidentielle. Or, pour certains, les droits de l’homme ne font pas toujours bon ménage avec la politique. Que répondez-vous à ceux là dont certains vont même jusqu’à vous accuser de connivence avec le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz ?
Ceux qui m’accusent de connivence avec Mohamed Ould Abdel Aziz n’ont qu’à venir prendre ma place en prison une ou deux fois (rires). Quelqu’un qui collabore avec le président ne devrait se retrouver si régulièrement en prison ni exposé à la disgrâce. A chacune de nos campagnes pour faire libérer des camarades ou dénoncer la torture, l’image du pouvoir se dégrade et la communauté internationale lui tient le langage du blâme. N’est-ce pas un investissement à perte, de la part d’un Aziz peu réputé pour enclin à l’altruisme ? Ai-je besoin de rappeler les avanies à nos familles, la précarité où grandissent nos enfants, sans omettre la détérioration de notre santé ?
D’autre part et pour revenir au premier volet de votre hypothèse sur la connivence, je dois rappeler que la question des droits de l’Homme se place au centre de la politique, c’est à dire de la gestion de l’autorité d’Etat. Au terme de décennies de diversion, les problématiques sans cesse différées du racisme et de l’impunité reviennent balayer le déni, avec la force tempétueuse de la frustration, comme une mécanique de la nature.
L’autruche qui est un animal avisé mais d’un optimisme de tragique, finit par se faire attraper en dépit de la tête dans le sable. Au demeurant, nombre de promoteurs de la dignité humaine ont recueilli des suffrages es-qualité, avant de gouverner par la mise en actes de leurs aspirations. Je compte perpétuer l’exemple.
Nous savons que vous avez rencontré le président Mohamed Ould Abdel Aziz au moins deux fois. Qu’est ce que vous vous êtes dit ?
Effectivement j’ai rencontré Aziz en 2012/2013 à l’initiative de certains de ses proches auxquels me liaient des rapports cordiaux. Soit dit en passant, je discute avec tous et sait rester courtois envers qui me témoigne un minimum de respect. A mes interlocuteurs, il paraissait utile, voire nécessaire, de discuter avec le leader du mouvement d’IRA, afin d’aplanir certaines divergences, créer un terrain d’entente, voire essayer de nous neutraliser par la faveur et la considération.
C’est en connaissance des bénéfices et du risque que j’ai accueilli favorablement le projet de telles entrevues. Je vous fais l’aveu d’avoir davantage cru au meilleur de l’intention, ravi d’entendre un partenaire, enfin perméable à nos arguments.
Alors, nous nous sommes rencontrés, par deux fois, dont la première se déroulait quelques semaines après ma sortie de prison, en 2012, au lendemain de l’incinération des livres esclavagistes. Le Président, d’emblée, déplore avoir été empêché de travailler pendant son mandat finissant ; selon lui, l’opposition lui aurait mis les bâtons dans les roues ; en conséquence, il serait reconnaissant si je l’aidais à recouvrer un peu de sérénité ; il me suggérait d’explorer, avec lui, un terrain d’apaisement pendant le reste de son exercice et pourquoi pas envisager une collaboration durable.
Je lui réponds que tout dépendrait des concessions qu’il serait prêt à faire sur la question des droits de l’homme, en l’occurrence l’esclavage, le « passif humanitaire », mais aussi la reconnaissance d’IRA, comme organisation des droits de l’homme et la possibilité d’autoriser la naissance d’un parti affilié. Ould Abdel Aziz m’a signifié son accord, à l’abri de la moindre hésitation mais sur le ton vague de la promesse sans échéance.
Par la suite, je n’ai pu constater de suite à ces dispositions. Notre contestation reprenait. Alors,notre contestation reprenait; un émissaire différent du premier vint me demander un autre aparté et j’en saluais l’augure. Il ne m’a fallu longtemps avant de comprendre à quel degré de mauvaise foi et de ruse primaire Mohamed Ould Abdel Aziz était déterminé, presque malgré lui.
Je réitère les mêmes doléances et il reformule ses promesses à l’avenant. Néanmoins, à ma stupéfaction, juste après ma sortie, il reçut quatre ou cinq membres d’une cellule dormante d’IRA qui furent présentés, au travers d’un tapage médiatique sans précédent, comme les vrais militants, soucieux de l’unité nationale et des intérêts du pays.
La confiance et la sincérité étaient rompues. Même si la nouvelle organisation tombait assez vite dans l’anonymat, je retins la leçon que mon interlocuteur, voué à l’intrigue et enclin au cynisme, méritait d’être pris à son propre jeu. Aux occasions ultérieures, je ne manquais de m’en souvenir.
Quel bilan faites vous de ces dix ans au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz ?
Un bilan catastrophique sur tous les plans. Mohamed Ould Abdel Aziz a manipulé les différences ethniques et sociales en Mauritanie pour créer une animosité viscérale entre les Maures et les Hratin, excluant de ce duel, les noirs non hassanophones, ainsi tolérés dans la posture du spectateur qui doit rester discret. Il a entrepris un travail de sape contre le lien social, approfondissant la césure ethnique, afin d’envenimer les contradictions.
Ould Abdel Aziz a renforcé le positionnement défensif des esclavagistes, des féodalités marchandes et du fanatisme religieux, qu’il a dotés d’assurances judiciaires, sécuritaires et politiques pour les prémunir de la moindre atteinte à leur prééminence. Il a renforcé la déception et enraciné le désarroi parmi des rescapés de la tentative de génocide perpétrée pendant les années de braise.
Il a fait perdre l’espoir aux orphelins, veuves et survivants, de voir, un jour leurs droits recouverts et la mémoire des défunts réhabilitée. Il a instauré un enregistrement biométrique et un découpage électoral injuste et discriminatoire et supervisé les expropriations foncières. Il a permis l’instauration d’une justice qui ne profite qu’à une seule communauté et dilapidé les ressources nationales (minerai, poisson, agriculture) au profit d’une coterie de prête-noms et de laudateurs.
Il aura achevé l’aplatissement du pouvoir judiciaire dont les fonctionnaires, notamment les juges, ne sont plus que des agents de la police politique, du bradage de l’économie au service des multinationales, de la vente des ports et des aéroports, de la banqueroute des sociétés publiques, telles la SONIMEX, l’ENER et l’Imprimerie Nationale. La SNIM étouffe sous la dette et les marchés de complaisance et de gré-à-gré rongent le pays.
Ould Abdel Aziz a parrainé la naissance d’une frange d’intégristes violents, que nombre de nos mosquées et établissements d’enseignement originel abritent. En 10 ans de laxisme, puis de complicité active, le pouvoir leur a permis de terroriser les intellectuels, les activistes libéraux et de gauche et d’embrigader la société.
L’article 306 du code pénal, révisé le 27 avril 2018, à l’initiative du gouvernement, illustre cette fuite en avant suicidaire, qui se paiera au prix fort. Une bande d’obscurantistes en rotation permanente entre le négoce et le culte, prend notre jeunesse en otage, dès l’âge tendre, interdit l’expression festive de la joie, muselle la parole, déclare la guerre à l’art et, pire encore, s’évertue à gommer la diversité culturelle du pays.
La loi protège ces fossoyeurs de l’Etat de droit, ataviquement réfractaires à la démocratie et au savoir qui ouvre au reste de l’humanité. Si Ould Abdel Aziz quitte le pouvoir un jour, il laisserait, à la Mauritanie, ce legs vénéneux.
Quels rapports entretenez vous avec l’opposition ?
J’entretiens des rapports amicaux avec toute l’opposition nationale et je compte renforcer la concertation, surtout envers et contre les tentations de contrarier l’alternance au sommet de l’Etat. Par ailleurs, soutenir un candidat issu d’un pouvoir que nous avons combattu longtemps relèverait d’un défaut de discernement et d’une panne d’ambition.
Quels sont vos rapports avec les opposants de la diaspora, notamment Mohamed Ould Bouamatou et Moustapha Limam Chav’i ?
Mes rapports avec la diaspora demeurent au beau fixe. Me lient, aux deux, le souci commun de tourner la page des inégalités, de la fraude et de la violence politique en Mauritanie. J’ai connu Ould Bouamatou, depuis moins longtemps. L’homme reconnait des erreurs en politique mais je retiens, de lui, le désir de mieux faire et un attachement viscéral à la modernisation du pays, sur la base de la liberté économique pour que la création de richesses et d’emplois s’exonèrent enfin des ententes occultes et de la bureaucratie.
Ould Bouamatou est un pragmatique d’un tempérament entier, qui ne lésine pas à mettre sa fortune en danger quand sa fierté ou ses convictions se heurtent à l’arrogance. Moustapha Chafi, que je fréquente depuis bien plus de temps, consacre ses heures et ses relations à la Mauritanie, sa passion sans cesse contrariée ; notre échange se caractérise par une sensibilité identique aux enjeux de stabilité et de sécurité du pays, dans la perspective des ruptures dans l’environnement régional et international. A mes deux amis, je renouvelle reconnaissance et résolution à défendre notre vision commune de la Mauritanie, trait d’union.
Vous êtes candidat à la présidentielle de 2019 : Quels sont vos chantiers prioritaires si vous êtes élu à la présidence de la république ?
Tout est à refaire, reconstruire. Je ne vous imposerais pas l’exposé fastidieux de mon programme de candidat à l’élection présidentielle. Je promets, toutefois, de vous en réserver la primeur.
Que pensez-vous de la marche que prévoit le pouvoir en place le 9 janvier 2018 contre ce qu’ils appellent le discours extrémiste?
La fameuse « marche contre « l’extrémisme et la haine » vise ainsi à nous museler, tout autant qu’elle nous désigne à la vindicte des segments de la société les moins réceptifs à l’émancipation du Noir subsaharien. La réaction du bloc hégémonique, le réflexe de survie du syndicat des tribus et des cartels du privilège acquis au fil de l’histoire alterne, donc, entre phase de répression et séquence de stigmatisation.
Le pouvoir, au nom des siens, livre une lutte décisive, celle de sa continuité, autrement dit de sa reproduction. Nous menons le combat inverse de l’homme résigné qui se redresse, avec, certes, le désavantage des moyens mais la promesse d’une victoire inscrite dans le cours du temps humain. Aussi, n’en sommes-nous, mes compagnons de route et moi, à un harcèlement près. D’autres suivront…
Selon certaines rumeurs, IRA brasserait beaucoup d’argent. Si cela est vrai, quelle est sa provenance. Et si c’est faux, comment faites-vous pour financer vos activités ?
Si IRA brassait beaucoup d’argent, les nombreuses campagnes d’arrestations auraient permis à l’Etat de nous condamner au grief de financement illégal, par une organisation non reconnue, comme ce fut le cas d’El Moustaqbal. Les activités dont vous parlez ne dépassent le soin en clinique de nos militants blessés, les frais de quelques voyages à l’intérieur et de l’organisation de soirées à Nouakchott.
Les fonds, d’ailleurs modestes, proviennent de militants et de sympathisants visibles et invisibles d’IRA. Nous avons besoin du concours matériel de nos adhérents et amis que nous appelons à alimenter, encore plus et mieux, le nerf de notre guerre des mots, des idées et de la conviction en marche.
Propos recueillis par El Kory Sneiba